Le monde de la culture burkinabè est diversifié et riche. Avec d’énormes potentialités qui contribuent fortement au PIB et au développement du pays. Mais l’insécurité que connaît actuellement le pays n’est pas favorable aux acteurs culturels et chacun s’adapte comme il peut, se battant pour une résilience.
« Qui plus que les artistes sont touchés par l’insécurité ? » Cette question de Ismaël ZONGO alias Papus, connu encore sous le nom de « Commandant Papus ZONGO » sonne comme une invite à voir de près la situation dans laquelle vivent la plupart des artistes burkinabè, du fait de l’insécurité.
Producteur de musique, manager d’artistes, producteurs et animateur de l’émissions culturelle « Le grand café », Papus est un acteur incontournable de la culture Burkinabè et il sait de quoi il parle. « Quand on parle de musique, dans l’entendement général de notre société, on entend amuseurs, ceux qui donnent de la joie.
Vu sur cet aspect, peut-on donner de la joie quand on est dans un environnement d’insécurité ? » interroge-t-il, avant d’ajouter que cette situation a paralysé 80% de ses activités. Producteur et Manger de l’artiste musicien Floby, il est directement touché. Son artiste qui faisait près d’une quinzaine de spectacles par mois, n’y parvient plus car la grande majorité de ses spectacles étaient en zone rurales et particulièrement en zone d’orpaillage.
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Aujourd’hui, la plupart de ces zones sont inaccessibles et plusieurs sites miniers sont fermés. Quand on sait que les cachets des producteurs et managers sont liés aux prestations de leurs musiciens, on comprend aisément ce que veut dire le « Commandant Papus ZONGO ».
Le secteur du cinéma souffre aussi du terrorisme. La situation sécuritaire empiète négativement sur les projets de nouvelles productions cinématographiques. Selon Adama ROAMBA, producteur, réalisateur et scénariste de cinéma, la Kompienga et Oursi, respectivement dans la région de l’Est et du Sahel sont des sites à « beaux décors cinématographiques ».
Mais aujourd’hui, il est impossible de s’y rendre à cause de l’insécurité. Les réalisateurs et producteurs sont donc contraints de se déplacer dans d’autres pays pour tourner. Non seulement cette situation ne permet plus la valorisation du Burkina Faso, mais elle rend les tournages encore plus compliqués et chers.
« Le FCDT, une bouffée d’oxygène pour les acteurs culturels«
Le Fond de Développement Culturel et Touristique (FDCT) accompagne financièrement et techniquement le développement des industries culturelles et touristiques. Son objectif est de développer la dimension économique de la culture et du tourisme au Burkina Faso en vue de créer des emplois et d’accroitre la contribution des deux secteurs au produit intérieur brut.
Pour ce faire, il octroi des crédits et subventions aux acteurs de la culture et du tourisme, garantit les prêts, appui le renforcement des capacités et assure la veille informationnelle sur les industries culturelles et touristiques. Si le FDCT a été créé pour venir en aide aux acteurs des secteurs culturel et touristique, avec l’insécurité liée au terrorisme, il est devenu un fardeau pour les opérateurs culturels.
Papus ZONGO a pris un prêt auprès du FDCT et peine actuellement à le rembourser à cause du déficit de recettes. Et il n’est pas le seul. Au FDCT on semble avoir pris la mesure de la chose. Selon le Directeur général, Alphonse TOUGOUMA, la situation sécuritaire représente une véritable menace pour le développement socio-économique du Burkina Faso depuis 2015.
Il reconnaît que l’insécurité est source d’instabilité des entreprises culturelles qui peinent à faire face aux charges de fonctionnement, compte tenu du fait qu’elle réduit fortement la mobilité des acteurs culturels sur l’ensemble du territoire national. Cela se traduit par une restriction significative de diffusion de spectacles (concerts, théâtre, films, …) car certaines régions et provinces sont devenues inaccessibles pour les promoteurs culturels.

La situation sécuritaire complique également le travail de suivi-évaluation du FDCT sur le terrain des projets financés et le recouvrement des créances. Elle représente un facteur majeur de dégradation du portefeuille crédit du fait qu’elle affecte fortement la capacité de solvabilité des acteurs culturels. La crise a affecté les promoteurs ayant contractés des crédits et a dégradé le portefeuille de 41 à 79%. Aujourd’hui le Fond a une centaine de crédits actifs qui vont de 1 million à 70 millions de Franc CFA.
Le défaut de paiement de certains acteurs culturels s’explique aussi par l’absence de services de paiement dans certaines régions comme à Djibo, ou par l’arrêt d’exploitation des investissements financés comme le cas de ZEM à Bagré. Le projet ZEM de Bagré vise la construction d’un bateau flottant (pour la pêche, les tournées, etc.) C’est un projet éco touristique intégré avec des hébergements. Mais pour des raisons d’insécurité, ce projet phare est en difficulté.
Toutefois, des discussions sont en cours afin d’étudier les autres faisabilités. Au besoin, il peut même être délocalisé vers d’autres barrage. Face aux impayés, le FDCT s’est inscrit dans une dynamique d’appui technique des opérateurs et privilégie le recouvrement des créances à l’amiable.
La création du FDCT est une réponse forte du Gouvernement pour donner suite à la volonté exprimée par les acteurs culturels et touristiques de disposer d’un mécanisme de financement adapté à leurs secteurs. Entre 2017 et le 30 juin 2022, le FDCT a financé 433 projets culturels et touristiques pour un montant global de 4.257.103.395 FCFA contre un besoin exprimé de financement de 22.110.616.391 F CFA soit un taux de satisfaction de 19,25%. Ce qui n’est peut-être pas suffisant mais aide à alléger un temps soit peut les opérateurs culturels et touristiques.
Malgré la situation sécuritaire dégradée, les opérateurs culturels burkinabè ne baissent pourtant pas les bras. Ils font leurs les propos d’Édouard Herriot pour qui « La culture, c’est ce qui nous reste, quand on a tout perdu ».Pour Adama ROAMBA, « le burkinabè n’a pas une culture terroriste, le terrorisme vient d’ailleurs ».
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Il faut donc travailler à renforcer notre culture qui prône le vivre ensemble, la sociabilité, l’acceptation de l’autre. Pour ce faire, le cinéma est selon lui un immense et important atout car il peut, à travers les images, motiver les soldats, remonter le moral des citoyens et contribuer ainsi à combattre le terrorisme. Pour cela, le cinéma burkinabè doit puiser dans les valeurs culturelles du pays.
Pour Alphonse TOUGOUMA, « la perte de certaines valeurs culturelles essentielles, fondatrices de paix, de cohésion sociale et de vivre ensemble, notamment l’intolérance, l’extrémisme violent, l’incivisme, la corruption représentent des terreaux fertiles pour l’existence et l’expansion du terrorisme ». Actuellement, près de 40% du territoire national est hors contrôle de l’État.
Mais au-delà des réponses militaires et économiques à apporter, Alphonse TOUGOUMA pense que la culture constitue une arme redoutable contre le terrorisme en ce sens que cette guerre ne peut trouver une résolution définitive que dans l’esprit des hommes. Épousant la philosophie de l’UNESCO selon laquelle « la guerre prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut élever les défenses de la paix », il garde espoir que la culture ait un bel avenir car elle regorge de potentialités et représente une opportunité d’investissements.

Les artistes semblent l’avoir compris et font preuve de résilience. Dans ces moments difficiles, ils sont nombreux à s’engager dans la lutte pour la paix à travers des messages forts en faveur du vivre-ensemble et de la cohésion sociale.
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