Suspension du CDP et de l’ADF/RDA : que recherche le gouvernement ?

Depuis quelques jours au pays des hommes intègres, une nouvelle fait couler beaucoup d’encre et de salive. Le Ministère de l’Administration Territoriale de la Décentralisation MATDS a décidé de suspendre le CDP, l’ADF/RDA et la FEDAP-BC. Si en ce qui concerne la FEDAP-BC qui était sous le couvert d’une association pour mener des activités politiques, tous sont unanimes sur la mesure et la jugent même insuffisante, il n’en n’est pas de même pour les partis politiques. Jusqu’où ira cette chasse aux sorcières ? Est-il reproché à ces partis leurs activités avant ou après l’insurrection populaire ?

Selon la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui portent atteinte aux principes de l’alternance démocratique, est passible de sanction. En voulant modifier l’article 37 de la Constitution burkinabè, c’est justement ce que le CDP et l’ADF/RDA projetaient de faire. Toujours selon la charte à son chapitre 8, article 25, il est dit que « les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat. » Si l’on s’inscrit dans cette logique alors, le MATDS aurait peut-être eu raison. Mais pourquoi n’ont-ils donc pas suspendu les autres partis membres du front républicain (FR) qui soutenaient comme les deux autres partis suspendus la révision de la Constitution ? Décision populiste ou règlement de compte ?

Lorsqu’on y regarde de plus près, on se rend compte que cette suspension est un acte non seulement arbitraire mais aussi de l’abus de pouvoir. Depuis son installation, le gouvernement de transition n’a cessé de clamé qu’il œuvrait pour la justice. Pourtant dans les faits, on se rend compte qu’elle-même prend les décisions sans considération aucune pour la justice, pourvu que le peuple ne se plaigne pas. Bien sûr le peuple pour le moment applaudit ces actes, se sent soulagé, vengé, mais jusqu’à quand ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour plaire ? Membres de l’ancien régime enfermés sans motifs, limogeages, nationalisation de sociétés sans procédure judiciaire, et maintenant suspension de partis politiques.

Parmi les articles cités pour justifier la suspension, il y a l’article 30 de la charte des partis et formations politiques du Burkina Faso. Il y est dit : « en cas de violation des lois et règlements de la république par un parti ou une formation politique et en cas d’urgence ou de trouble de l’ordre public, le Ministre chargé des libertés publiques peut prendre un arrêté de suspension de toutes activités du parti concerné et ordonner la fermeture de son siège. L’arrêté de suspension doit être motivé et comporter la durée de suspension qui ne peut excéder trois mois. »

En se basant sur ce même texte, on constate que la décision du MATDS ne remplit aucune des conditions requises. Non seulement la suspension des deux partis à savoir le CDP et l’ADF/RDA n’a pas été motivée, c’est-à-dire que les faits qui leurs sont reprochés n’ont pas été exposés ni démontrés, mais en plus de cela nulle part il n’est mentionné une date limite de la suspension.

En agissant de la sorte, que recherche le gouvernement ?

De pareils agissements sont aux antipodes de l’esprit même de la charte de la transition dans laquelle il est question de réconciliation du peuple burkinabè. Comment réconcilier en appliquant la politique du vainqueur ? En faisant fi de la justice ? Que deviennent les dix personnes de l’ex majorité, membres du Conseil National de Transition ? En posant de tels actes, le nouveau gouvernement ne se montre-t-il pas aussi injuste que celui que nous avons eu tant de mal à chasser ?

Ce qui est sûr, notre cher gouvernement de la transition ne doit pas oublier la raison principale de sa création à savoir la TRANSITION ! Il est là pour nous assurer la paix et la sécurité jusqu’à l’organisation effective des élections démocratiques tant souhaitées par le peuple burkinabè. Jusqu’à présent, les membres de ces partis n’ont pas encore réagit. Certains ont dit d’abord vouloir entrer en contact avec le gouvernement pour mieux ‘’comprendre’’ le coup de massue qu’ils venaient de recevoir. Mais conformément à la même charte des partis politiques, notamment à l’article 31 : « Le parti ou la formation politique qui conteste la décision de suspension peut saisir le tribunal administratif dans un délai de soixante jours après notification de la suspension. » Wait and see donc !

Aissatou Diallo