Le 31 octobre 2014, la jeunesse burkinabè a fait une insurrection populaire, qui se termina par le départ du président Blaise Compaoré. Au cœur des manifestations se trouvait le « balais citoyen », un mouvement de jeunes qui a été très actif sur le terrain. Actuellement des discussions sont en cours pour adopter une charte et trouver un président consensuel pour la transition. Des débats ont lieu sur l’inclusion ou non des membres de l’ex majorité. Nous avons rencontré Serge Bambara dit Smockey, un des co-fondateurs de ce mouvement pour discuter de la situation politique nationale. Voilà ce qu’il a dit avant la mise en place des instances de la transition
Interview réalisée par Diallo Aïssatou
D.A. : Aujourd’hui c’est Zida qui est le président en attendant de remettre le pouvoir aux civiles. Selon certaines opinions c’est le balai citoyen qui a été à ses côtés.
Smockey : Nous n’allons pas refuser d’assumer ce que nous avons fait. Nous n’allons pas non plus assumer ce que nous n’avons pas fait. Nous étions les seuls sur le terrain et c’est bien la preuve que quelque part certains ont lâchement abandonnés leurs responsabilités. Je veux parler des partis politiques et de quelques organisations de la société civile. Nous étions les seuls sur le terrain et nous pensons que nous avons pris la seule bonne décision responsable qui était à prendre en ce moment-là. Il s’agissait de sauver la vie de milliers de personnes qui étaient prêtent à se rendre au palais présidentiel. Ce n’est pas le balai citoyen qui a demandé à l’armée de prendre ses responsabilités, c’est le peuple qui était massé autour de l’Etat-major.
D.A. : Mais aux premières heures de la chute de Blaise Compaoré, il y a eu de nombreux débats sur qui doit prendre le pouvoir pour gérer la transition. Il y a d’abord eu le Général Nabéré qui s’est autoproclamé président, il y avait aussi le Général Kouamé Lougué que la foule réclamait et finalement c’est le Lieutenant-Colonel Zida qui a fait une déclaration. Et le balai citoyen était à ses côtés.
Smockey : Mais je vous explique pourquoi on est arrivé là. Il ne faut pas juste prendre des images hors d’un contexte sinon vous pourriez leur donner la signification que vous voulez. C’était une situation exceptionnelle, explosive, avec une pression populaire. C’est le peuple qui a demandé à l’armée de prendre ses responsabilités. Aussi si l’armée n’a pas avec elle les organisations de la société civile, on pourrait interpréter cela comme un coup d’Etat. Nous estimons que nous sommes allés à ce petit compromis qui nous a permis de nous débarrasser du dictateur Blaise Compaoré et d’éviter des morts. En plus l’armée nous avait déjà donné quelques garanties : elle ne tirerait pas sur la foule, et nous a réitéré sa volonté de transmettre le pouvoir aux civiles. Voilà pourquoi nous avons accepté de nous mettre à leurs côtés lors de la déclaration.
Mais quelle ne fut pas notre surprise le lendemain de voir la récupération politique de cette image. Si nous avions voulu comme ils le pensent vendre la lutte, nous aurions pu nous-mêmes nous insérer dans le programme de transition, puisque c’est nous qui étions les premiers contacts de l’armée. Quand on nous a demandé qu’est-ce que le peuple veut ? On aurait pu dire que le peuple veut le balai citoyen au pouvoir ! Mais il n’était pas question pour nous d’entrer dans une quelconque gestion du pouvoir. Nous voulions le départ de Blaise et éviter que l’armée ne fasse un carnage. Evitons alors de la dénigrer car ce serait malhonnête de notre part de dire à l’armée de prendre ses responsabilités et de revenir le lendemain leur dire de rendre le pouvoir aux civiles.
DA : Avez-vous l’impression d’avoir été trahis ?
Smockey : On se connait ! Il y en a qu’on a jamais vu du début à la fin et on les a vu représentés au niveau du CFOP, parce qu’il y avait un soit disant gâteau à partager. Nous avons juste dit aux représentants du CFOP et le lendemain matin dans les médias que tout ce que nous voulions c’est qu’il y ait d’abord négociation et débats avec les officiers de l’armée avant d’utiliser la pression de la rue. Mais nous avons constaté qu’il y a eu pression avant négociation et cela est dû à l’excitation générale, l’intervention de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne et la possibilité d’une récupération politique. Le lendemain ils ont appelé les gens à manifester et ils sont allés jusqu’à dire que le balai citoyen invitait ses militants à sortir tout simplement parce que nous avons signé la liste de présence à la rencontre. Nous avons malheureusement perdu un camarade ce jour-là. Nous pensons qu’il ne fallait pas faire sortir les gens dans les rues sans avoir discuté avec l’armée, sans avoir un président de transition à proposer. C’était irresponsable et inconscient. Heureusement que le ridicule ne tue pas. Le comportement de l’opposition et de la société civile a peut-être même conforté l’armée dans sa position puisque eux-mêmes ils sont divisés. Nous aurions voulu donner l’impression d’un bloc soudé qui sait ce qu’il veut et ce qu’il fait.
DA : Que pensez-vous de la position de la communauté internationale ?
Smockey : Avant la crise pré-chaos, nous les avions rencontrés pour leur dire aussi de prendre leurs responsabilités. Mais ils ont tous avancé leur devoir de neutralité. Si aujourd’hui la communauté internationale et la CEDEAO peuvent venir se pavaner et nous donner des leçons de démocratie et de droits humains, c’est parce que Blaise Compaoré est parti. Si les partis politiques se bouffent entre eux, si même les OSC lâches (ceux qui ont marché contre la vie chère la veille de l’introduction de la loi portant modification de la constitution) peuvent s’asseoir à la table de négociations, c’est bel et bien parce que Blaise est parti. Il faut qu’on arrête le cinéma. Nous, nous avons eu la naïveté de croire que nous sommes une nation et que le danger peut autant venir de l’armée que de la société civile. N’est-ce pas des civiles, comme Assimi Koanda qui ont appelé à incendier les maisons des gens ? Des civiles comme François Compaoré qui ont assassiné des gens ? Le temps va nous donner raison.
AD : Le Burkina risque actuellement des sanctions économiques. Le Canada a déjà arrêté l’aide au développement. Ne pensez-vous pas que l’économie du pays est menacée si un consensus n’est pas trouvé au plus vite ?
Smockey : Où étaient ces institutions internationales quand nous souffrions ? Où étaient-elles quand des burkinabè ont dû sacrifier leurs vies pour chasser le dictateur ? Où était-elle quand Blaise Compaoré a tenté d’introduire le projet de modification de l’article 37 qui n’était pas consensuel ? Au contraire il a été crédité d’une médaille de pacificateur, de médiateur, d’homme de paix dans la sous-région! Bien que tout le monde savait qu’il a été un trafiquant d’armes. Aujourd’hui nous ne sommes plus au stade d’écouter les institutions internationales. Elles sont mal placées pour venir nous donner des ultimatums. Si la communauté internationale préfère sacrifier un peuple entier sous prétexte qu’il y a des règles de droit international, je dis que c’est dommage et elle prouve par-là qu’elle est hypocrite. Elle doit dire le droit en tout temps et en tout lieu. Je pense qu’elle doit laisser le temps aux burkinabè de discuter d’abord. Nous voulons tous la bonne gouvernance et un civile au pouvoir.
DA : Quel rôle le balai citoyen va t’il jouer concrètement durant la période de transition ?
Smockey : Nous sommes le seul mouvement qui a clairement signifié son intention de ne pas être à la recherche du pouvoir. Nous ne voulions même pas faire partie de l’organe de transition. Mais nos militants ont insisté sur le fait que nous devions avoir un droit de regard. Nous avons donc accepté par consensus d’avoir deux représentants au sein de l’organe consultatif. Cela nous permet d’être sûrs que tout soit bien réglé dans le processus de transition. Le peuple a donné le pouvoir aux militaires et s’il n’est plus d’accord avec ses actions, il peut le reprendre. Quelques soient les futurs dirigeants du pays ils ne doivent pas oublier cela. L’individu qui va s’occuper de la transition et qui voudra aussi faire partie du prochain gouvernement devra faire attention car il y aura une épée de Damoclès sur sa tête.
DA : Quel commentaire faites-vous de la charte qui va régir la transition?
Smockey : Le balai citoyen continue sa lutte pour la démocratie. On nous avait demandé de lire et d’amender la charte de transition en deux heures. Chose que nous avons totalement refusée parce que c’est un document qui porte sur l’avenir de tout un peuple ! Nous avons dit qu’il fallait plus de temps. Néanmoins certaines de nos propositions ont été reprises dans la proposition finale de la charte.
DA : Selon certaines opinions émanant des partis de l’opposition on ne devrait pas à l’étape actuelle des choses discuter avec les membres de l’ex majorité. Leur première participation aux discussions on s’en rappelle, a provoqué des réactions vives. Quel est votre avis sur la question ?
Smockey : Pour moi (et c’est mon avis personnel qui n’est pas partagé par tous au sein du balai citoyen) le fait de vouloir impliquer l’ex majorité dans les discussions et même leur accorder 10 places dans le gouvernement de transition c’est encore mettre la charrue avant les bœufs. Ils ne doivent pas encore participer aux discussions.
DA : Mais nous sommes en démocratie et dans le cadre d’un dialogue inclusif. Pourquoi ne pas permettre à toutes les composantes de la société de s’exprimer ?
Smockey : Nous parlons d’anciens bourreaux ! Une ex-majorité qui a été impliquée dans des crimes économiques, dans des crimes de sang. Il y a eu des discours ‘’ethnicistes’’, criminels qui ont été tenus par des gens de ce parti. Peut-être qu’il y a certains d’entre eux qui sont de bonne foi. Mais permettre à 10 personnes de cette ex-majorité d’être dans le gouvernement de transition, non ! Je n’ai jamais vu aucun pays agir de la sorte. Même les Etats-Unis et l’Europe ont systématiquement exclus l’Allemagne de tous les débats après leur victoire. Jusqu’à nos jours l’Allemagne est surveillée.
DA : Ne voulez-vous pas appliquer la loi du plus fort ?
Smockey : Non ! Je veux la justice avant la réconciliation. Ils participent déjà au processus de transition sans avoir été jugés. Ils n’ont pas été blanchis, ils ne sont pas excusés. Peut-être qu’il y aura des éléments criminels qui vont s’insérer dans l’organe de transition avec toutes les conséquences que cela peut avoir.
DA : Que faites-vous de la nation Burkinabè alors ?
Smockey : Bien évidemment il faudra que tous ces gens soient réintégrés. Il faudra compter avec l’ancienne majorité pour insuffler un développement dans le pays. Mais les blessures n’ont pas encore eut le temps de cicatriser. Il y a des parents qui ont perdu leurs enfants pendant ces manifestations. Le pays a été mis à feu et à sang à cause d’un individu et d’un parti au pouvoir qui a refusé de dire la vérité à ses représentants. Certains ont été lâches devant l’histoire et il faut qu’ils payent un minimum le prix. Bien sûr qu’ils continueront de jouir de leurs droits de citoyens. Mais on leur demande juste de s’écarter momentanément du pouvoir, sinon la transition connaîtra des couacs. Donc il faut laisser le temps aux gens d’entériner cette idée de dialogue inclusif qui se fera tout naturellement.
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